• Chapitre 32

    Point de vue d'Anna:

    Je suis dans mon bus. Je serais chez moi dans une petit dizaine de minutes. Dans ma poche de manteau, je sens mon portable vibrer.  Je le sors et regarde. Il s'agit d'un message venant de Léo. Je l'ouvre.

    Demain matin, dès que tu arrives au lycée, je veux te voir.

    Je relis le message deux fois. Qu'est-ce qu'il me veut?  Je lui demande pourquoi mais je n'obtiens aucune réponse. C'est alors que je commence à m'inquiéter. Je pense tout de suite à Ethan. Est-ce que ce dernier lui aurait parlé de ce qu'il s'est produit? Même si j'en doute, c'est une possibilité. Mais, qu'est-ce que Léo voudrait bien me dire dans ce cas? Et puis, pourquoi je m'inquiète d'abord? 

    Le lendemain, je n'ai pas besoin de cherche Léo. Il vient de lui-même à moi. Il faut dire que je comptais plus chercher à l'éviter qu'à aller à sa rencontre. J'étais avec Jenny. Léo me tire par le bras pour m'emmener plus loin afin de nous isoler un peu plus. En tout cas, pour que Jenny ne nous entende plus. 

    "Tu me fais mal au bras. 

    Léo me lâche le bras sans s'excuser. 

    -Qu'est-ce que tu voulais me dire? 

    -Tu kiffes Ethan? 

    Sa question me surprend et je ne peux pas m'empêcher de le regarder avec des yeux ronds. Je lui réponds, premièrement, que cela ne le regarde absolument pas. Seulement, il insiste. 

    -Qu'est-ce que ça peut te faire? 

    -Presque rien, me répond-t-il. 

    Son regard s'oriente vers mon bracelet. Je cache mon bras derrière moi , un peu par réflexe. Ses yeux se tournent alors vers mon visage. 

    -Tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez, Léo. Toi, il n'y a que ce stupide bracelet qui t'intéresse. 

    -Et Ethan c'est pareil. Il lui est formellement interdit d'avoir des sentiments amoureux pour un pion. Or, qu'est-ce que tu es, rappelles le moi? Un de nos pions, justement. Tu te fais des illusions. Ce n'est que du vent, que de belles paroles. 

    -Il était sincère.

    Pourquoi Léo me dit-il tout cela? Qu'es-ce qu'il recherche? Léo se met à rire. 

    -Sincère? Tu me parles de sincérité? Mais dans quel monde vis-tu, Anna? Ethan ne veut rien d'autre que ton bracelet. Il sait juste être un bon acteur pour t’ensorceler. Et tu tombes dans le panneau comme n'importe quelle greluche. Tu te fais des idées. Une fois qu'il aura ton bracelet, tu n'existeras plus pour lui. Il n'en aura plus rien à foutre. Ethan est comme moi. 

    Je le coupe, exaspérée et énervée par ses paroles. 

    -Ethan n'est pas du tout comme toi. De quel droit le critiques-tu de la sorte? Contrairement à toi, il ne pense pas qu'à ce stupide jeu. Il ne cherche pas à se foutre la gueule de toutes les filles qu'il croise! Ethan n'est pas comme toi, Léo. Et tu sais en quoi? Il respecte les décisions des autres. Et celui que tu décris avec des paroles de serpent, ce n'est pas Ethan mais toi-même. 

    Léo me regarde avec une lueur de colère largement perceptible dans ses yeux bleus. S'ils pouvaient tuer, il est certain que je serais dans une tombe. J'essaye de me faire toute petite. Si je le pouvais, je me serais recroquevillée sur moi-même. 

    -Ah ouais? Tu verras. Il te fera croire ce que tu veux entendre et tu verras, il te laissera tomber.

    -Il ne me fera rien car je lui ai dit qu'il ne se passerait rien."

    Léo me regarde quelque instants dans le silence le plus complet. Je me sens, alors, assez mal à l'aise. Il reprend alors la parole mais cette fois, il n'y a plus aucune colère dans le ton de sa voix.

    "Tu as repoussé Ethan?"

    Point de vue de Léo: 

    Je ne m'attendais pas ce qu'elle me dise qu'elle avait repoussé Ethan. Il faut dire que lorsque j'ai surpris la conversation d'Ethan et Mathilda, je n'ai pas vraiment écouté ce qu'Ethan m'expliquait. J'ai juste retenu qu'il me parlait d'Anna. Or, je ne veux pas qu'elle perde son bracelet par un autre joueur. Et, vu la proximité qui la lie à Ethan, il me semble que j'ai tout bêtement paniqué. Et pour rien en plus!  La prochaine foi, j'écouterais mieux quand les gens me parleront. 

    Non seulement je me suis fait des films, tout seul, et en plus, je viens de me ridiculiser un peu. Je me suis laissé emporter alors qu'il n'y avait pas de quoi. Il faut dire que je n'écoute plus grand chose en ce moment. Je déteste ma vie. Je déteste ces gens qui se disent mes potes mais en qui, en réalité, ne savent rien de moi. Je ne suis pas spécialement pote avec Ethan ou Byron ni même avec Nathan. Pourtant, ce sont sûrement eux, surtout Byron, en fait, qui en savent le plus sur moi. 

    Plus tard dans la journée, je croise mon cousin. Robin m'attrape par le bras pour me stopper. Je ne comptais pas m'arrêter s'il ne l'avait pas fait. 

    "T'as cinq minutes? me demande-t-il. 

    -Si c'est important, oui. Sinon, non. 

    On ne peut pas dire que je sois non plus spécialement proche de mon cousin. Il n'est certainement pas la personne en qui j'ai le plus confiance. Cependant, il reste de ma famille. Et je sais qu'en cas de coups durs, je peux compter sur lui. Robin me fixe et je finis par céder.  

    -Il s'est passé quoi chez toi, hier soir? me demande-t-il.

    Je ne lui répond pas et détourne le regard vers le sol. Ma mâchoire se crispe. Je ne savais pas qu'il était au courant. Hier soir, mon père est parti de la maison après une dispute avec ma mère. Elle pleurait. Moi, je m'étais isolé dans ma chambre, mon casque sur les oreilles pour essayer de faire abstraction de ce qu'il se passait autour de moi. Je n'avais et n'ai encore aucune envie de l'admettre. Je suppose que ma mère a appelé les parents de Robin, hier soir. Au final, mon père est revenu, tard dans la nuit et les hurlements ont recommencé mais il n'est pas reparti. 

    -J'ai pas envie d'en parler."

    Je n'ai pas envie de rentrer chez moi ce soir. Je pensais que le temps que je serais au lycée, je pourrais avoir la paix avec cette histoire. Mais elle me poursuit. J'en suis malade. J'ai envie de tout laissé tomber, de tout plaquer. Je ne comprend pas pourquoi mes parents me font subir ça. Leurs querelles incessantes ne me font que du mal depuis des années. Aucun d'eux n'est heureux et, par répercutions, moi, j'en souffre.  Mais personne ne le comprend. Ou peut-être que des gens me comprennent mais je suis trop renfermé sur moi-même pour m'en apercevoir. J'ai appris à me protéger pour limiter cette souffrance. Si je ne l'avais pas fait, je pense que cela fait un moment que j'aurais été détruit de l'intérieur. 

    Quand les cours se terminent, j'ai envie de demander à Byron si je ne peux pas venir dormir chez lui, ce soir. Je pourrais le faire. Mais à quoi cela servirait, finalement? Si j'évite la tempête, ce soir, je ne pourrais l'éviter un autre jour. J'essaye de fuir quand je vais chez Byron. Au final, je suis un lâche. 

    A la maison, je ne vois que mon père.

    "Où est maman? 

    -Encore au travail."

    Je hoche la tête, me sers un verre de coca et je vais m'isoler dans ma chambre, allumant la musique. Si ma mère n'est pas encore là, cela signifie que j'ai un peu de temps avant de devoir supporter les cris de leurs engueulades. Je ne me fais aucune illusion. J'ai depuis très longtemps abandonné l'idée que la relation entre mes parents puissent un jour s'améliorer. Elle se détériore sans cesse et je suis l'unique spectateur quotidien de ce carnage. Parfois, je me demande comment mes parents font pour ne pas s'en rendre compte car, il me parait impossible, qu'aucun des deux n'ait vu que les choses se passent aussi mal entre eux. Peut-être qu'ils le nient ? Peut-être qu'ils ont encore cet espoir que les choses redeviennent comme avant, quand j'étais petit, où ils s'entendaient encore bien? 

    J'ouvre mon cahier de maths. Je suis censé faire des exercices pour demain. Je jette un coup d'oeil au premier d'entre eux et je grimace en constatant qu'il est long et qu'il va me prendre du temps. Je n'ai aucune envie de me creuser les méninges. Je referme le bouquin et le cahier. Tant pis, je ne les ferais pas. Je ne comprend pas les élèves qui font toujours tous leurs exercices.  C'est chiant. Ils n'ont rien de mieux à faire? Leur vie est-elle si calme que la seule chose dont ils aient à se préoccuper soit de faire correctement leurs devoirs? Ou alors, leurs vies sont-elles fatigantes au point qu'ils ne trouvent que cela pour avoir l'impression de s'en échapper? Un cours instant, je pense à Anna. Elle fait toujours tous ses devoirs et les rend toujours à l'heure. Je grince des dents. En fait, j'ai remarqué que cette fille, j'avais un peu de mal à la supporter. Surtout au début. J'ai l'impression qu'elle est dans une bulle, que la vie qu'elle mène est sans difficulté particulière. Et j'ai remarqué que je lui en voulais pour cela. C'est injuste. Pourquoi des personnes auraient-elles droit d'être avec une famille aimante et bien structurée tandis que d'autres ne voudraient qu'une chose, que tout s'arrête? C'est injuste. Est-ce que je serais heureux si j'avais des parents qui ne se crieraient pas dessus sans arrêts? Si j'avais une vie différente comme celles que je viens de dépeindre? 

    Je grogne en me rendant compte de l’inutilité de mes pensées. Je peux m'imaginer tout ce que je veux, cela ne changera pas ma situation. C'est encore un stratagème d'échappatoire. J'ai le jeu aussi... C'est une façon, pour moi, d'oublier ce qui se passe à la maison. C'est pour cela que j'y accorde autant d'importance. C'est comme une bouée de secours qui m'empêche de me noyer. 

    J'aurais pu terminer bien plus bas. D'accord, je bois quand je suis en soirée, mais je ne suis dépendant de l'alcool. Je ne me drogue pas non plus bien qu'ils me soient arriver de fumer quelques produits illicites. C'était pour des occasions particulières mais je ne suis pas dépendant. J'aurais pu être un délinquant, ce que je ne suis pas. Je me rends souvent compte que j'aurais bien pu très mal tourner. Je devrais être plutôt satisfait de mon sort? 

    J'entends la porte de l'entrée s'ouvrir puis se fermer. Ma mère est là. 

    Étrangement, ce soir, il n'y a eu aucun cri. J'en suis le premier étonné. Je baisse le son de ma musique pour vérifier. Le silence le plus complet règne. Ce n'est pas normal. Je ne vais sûrement pas dire que c'est une mauvaise chose mais ce silence m'inquiète tout de même. 

    Quand l'heure du dîner arrive, je sors de ma chambre. Il n'y a toujours eu aucun cri. Dans la cuisine, je ne vois que mon père. Il est assis, accoudé à la table, sa tête entre ses mains. 

    "Rien n'est encore prêt?

    En général, c'est ma mère qui fait le repas quand elle rentre du travail. Parfois c'est mon père mais c'est bien plus rare. Il ne me répond pas.

    -Où est maman? je lui demande.

    -Elle est partie, murmure-t-il. 

    Je fixe mon père. Qu'est-ce qu'il vient de dire? 

    -Partie?

    -Oui. Elle est revenue ce soir juste pour prendre ses affaires. 

    Je me précipite dans la chambre de mes parents et ouvre le placard de ma mère. Il est totalement vide. Mon père dit la vérité. Mais pourquoi est-elle partie comme ça?! Sans rien me dire?! Elle vient de m'abandonner, moi et mon père, comme une voleuse! Je retourne dans la cuisine. Mon père n'a pas bougé. 

    -Pourquoi?! Pourquoi est-elle partie de cette façon?!

    -Cela fait bien longtemps que rien ne va plus entre nous. Depuis un moment, elle envisageait de partir. Et puis, elle a rencontré un autre homme."

    J'ai l'impression que mon monde s'écroule autour de moi. 


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